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Adèle d'Aiguebrune

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Première page

Le soir tombe, lentement. Un reste de lumière vient mourir sur l'eau, s'enfonçant comme une lame dans la surface calme que rien ne peut déchirer. Comme j'aime cet étang, sa sauvagerie paisible et son indifférence! Aux heures les plus cruelles, c'est ici que je suis venue chercher un peu d'apaisement. J'y viens encore, ce soir, malgré le froid. Il n'est de souffrance que mon étang ne puisse partager avec moi. Depuis si longtemps que nous sommes ensemble. Depuis toute ma vie.

Je ne sais où je serai conduite, dans quel exil ou dans quelle prison. Je suis condamnée par avance. Cela m'importe peu. C'est la séparation qui m'accable. J'embrasse du regard mon pays avant de le quitter. C'est un arrachement. L'étang est au fond de la vallée d'Aiguebrune, sombre, entouré d'une forêt de joncs. Les chênes sauvages et les châtaigniers couvrent les collines qui me font face et cachent l'horizon. J'ai longtemps pensé qu'il n'existait rien d'autre au monde que ce refuge de verdure et d'eau. Il m'était suffisant. A mi-chernin de la colline, la petite métairie des Desmichels, ramassée, écrasée sous son toit de tuiles noircies. Un peu plus haut, cachée par les arbres, la ferme haute des Lambert, et derrière moi, le château d'Aiguebrune, si morose et si gris, auquel j’ai fini par ressembler.

Aiguebrune est moins à moi que je ne suis à lui. Il me semble, en lui faisant ce soir mes adieux, , que tout ce temps de mon existence a glissé sur l'eau sombre et que rien n'a vraiment eu lieu. Tout est autour de moi si familier, si calme. J'ai passé tant d'heures assise ici, tranquille et oubliée de tous. Il me faut quelque effort pour croire qu'ils viendront me chercher, tout à l'heure. Mais c'est mon tour. Ils viendront, dans un grand bruit de chevaux et de bottes. Et tout sera fini. Pour moi, du moins. Pour l'étang, rien ne s'achève jamais. La pluie dessinera toujours les mêmes cercles à sa surface.

Il pleut. Quelques gouttes fines, passagères. À mon pied, l'eau se ride. Une araignée d'eau affronte cette tempête. Elle fait tant d'efforts pour survivre, sans savoir combien le flot qui nous entraîne rend nos efforts dérisoires. J'envie son désir et son ignorance. Je me sens vieille et je n'ai pas quarante ans, mais il m'aura fallu tout ce temps pour comprendre que rien ne nous est donné et qu'il faut prendre et se battre.